BIENVENUE (EPILOGUE)

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Personne ne sait que je suis là. Pas même ma femme Cathy. Depuis deux jours que je suis arrivé, j'essaie de ne pas déranger Mary, Jojo et leurs quatre enfants. J'ai accompagné Jojo à la pêche hier, au large de Capesterre en remontant vers les Galets. On a relevé une demi-douzaine de ''gendarmes'', ces casiers à petits poissons faits en bois de gaulette et en grillage par les pêcheurs eux-mêmes. Mais je me rends bien compte que je devrai tôt ou tard me prendre en charge. Pourtant, Mary s'occupe bien de moi, je n'ai pas à me plaindre, elle me met à l'aise la cousine. Elle m'a préparé une chambre dans la remise de pêche de Jojo, parmi les filets et les lignes à réparer. Mais la première nuit, je l'ai passée dehors, dans le hamac du patron, sous les cocotiers, bercé par la douceur des alizés. 

Je passe le plus clair des journées à pêcher, avec le matériel de Jojo. Quand je ne suis pas en mer avec lui, je suis avec son masque, son tuba et ses palmes dans la barrière de corail à deux cents mètres du hamac. Je ramène du poisson. Mary a pensé à une parcelle de terre dont ils sont propriétaires et qu'elle aimerait cultiver, sur la colline derrière chez eux.  Jojo n'a ni l'envie ni le temps de la mettre en valeur.

Ce matin, je veux inspecter ce lopin. Rien que l'ascension du morne pour y parvenir est une épreuve sportive. Je me souviens que Mary parlait d'une cabane effondrée qui borne ce terrain. J'y suis. Je bois à ma gourde. Il est sept heures et il fait une chaleur à crever malgré la hauteur. Plus chaud qu'à Calibishie, plus sec. Le carré est en friche depuis un bout de temps. Seuls quelques pieds de papayers et de manioc émergent ça et là, au milieu d'un capharnaüm végétal. Pas de voisinage. Pas de maison en vue non plus. Ca signifie que je pourrais être tranquille à jardiner ici. Faudra juste être prudent pour les trajets.

Le soir, on évoque ce jardin devant un verre du rhum, Jojo est heureux de me voir motivé. Il me montre les outils de son père disparu, son seul héritage avec ce demi-hectare à cultiver. Il m'assure qu'il pourra me trouver toutes qualités de plants et graines auprès de ses frères et cousins. 

C'est comme ça que j'ai retrouvé mon premier boulot au final : cultiver. Le commerce avait été mon passeport pour l'exil. L'agriculture adoucit la séparation et me retend ses bras protecteurs et exigeants. La nature avec, la solitude aussi depuis que j'ai transformé la cabane effondrée en un vague abri. Je ne veux éveiller aucun soupçon, alors j'ai fait dans le rudimentaire. Le jardin se situe dans un creux, un ''fond'',  au sommet d'un morne. Il y fait chaud mais c'est assez abrité et ça me convient. Je vis là depuis presqu'un an. Je descends tous les deux ou trois jours chez Jojo. Mary monte parfois avec les enfants et on partage les fruits du jardin. Ma famile à Calibishie me sait ici en bonne santé et je dois même aller leur rendre visite le week-end prochain avec Jojo. Ca fera un an. Un an sans eux, un an à se cacher, à chercher une autre existence.

 


 

 

 

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