LA BRIQUE DE LAIT (2E PARTIE)

 

7 heures du matin, un jour de plus en Bosnie. Les deux MPG ont été vérifiés la veille : niveaux, batterie, allumage, tout le tintouin revu. Le mien a démarré du premier coup avant que je le grimpe sur le porte-char. Ce matin donc, je monte dans le TRM 10000, qui tracte mon tractopelle de 22 tonnes et je me laisse conduire par un caporal de notre section d'origine polonaise, Sluski ou un truc dans ce goût-là. Derrière nous, un second porte-char et devant nous une jeep P4 et un véhicule de l'avant blindé. Toute la section, une vingtaine de gars, est mobilisée, sous les ordres de Siolet of course. On s'approche de l'aéroport, ça se remarque au nombre croissant de bâtiments détruits. Notre itinéraire évite les quartiers tenus par les Serbes, pas confiance. Traversons des zones bosniaques : regards croisés, désespoirs évités, des hommes et des femmes qui se pressent pour traverser les rues, les avenues. A un carrefour, un char russe à l'envers ! Première fois que je vois ça. Pas de détonation durant tout ce voyage. Mais voilà que ça reprend au moment où l'on franchit le check point de l'aéroport. Sur le fronton de l'aérogare, « Aerodrom Sarajevo » tient encore. Nous voici à l'orée du symbole le plus puissant du conflit. C'est la Légion qui garde l'aéroport, le 3è Régiment Etranger d'Infanterie. Beaucoup de Slaves dans la Légion. Accueillante la Légion. En 1946, c'était des gars de la Werhmacht, pas des SS hein, de la Werhmacht qu'on a sitôt envoyés se faire étriper en Indochine avant de finir dans la cuvette de Dien Bien Phu tout là-bas dans l'enfer Tonkinois. « Ca tire au mortier » nous gueule le gradé du check-point avec son gros accent de popof. Les impacts ont touché un immeuble voisin déjà bien amoché. Le bombardement, c'est le quotidien, plusieurs centaines de fois par jour, un obus vient se planter dans un bout de Sarajevo la Bosniaque. Au mortier ou avec de l'artillerie lourde (105 mm, 155 mm, parfois plus), les Serbes pillonent depuis trois ans ce qu'ils considèrent comme leur ville, alors qu'ils ne représentent qu'un petit tiers de la population. Connerie !!!

J'ai deux jours, nous avons deux jours pour aplanir le bout de la piste. A vue d'oeil, le boulot paraît pas monstrueux. Faudra juste être méthodique. Terminer par le bout de la piste où on entassera tout le surplus. Héret a descendu son MPG. Il m'attend, assis dans sa cabine blindée. Enfin, blindée, c'est beaucoup dire, seules les vitres latérales et celle de derrière le sont. Mais ce qui est sûr, c'est qu'avec mes 400 litres de mazout dans le réservoir, ça ferait une belle torche, ou plutôt un cocktail molotov maouss. Le boulot, je l'ai déjà fait, mais c'était en ville, sur une avenue avec une compagnie de combat pour nous protéger. Siolet m'a demandé si j'ai besoin d'un aide conducteur, un guignol qui fait le clown au pied du MPG pour me guider dans le taf : niet. Héret pareil.

Je suis Héret 50 mètres devant moi précédé par Siolet et le véhicule de l'avant blindé. On est sur zone, y a de quoi faire me lance Héret du regard en sortant de son tracto. Siolet y va de ses recommandations techniques et que si ça se met à canarder, tout le monde à l'abri et que si on peut, on ramène les engins intacts, etc.... Ca a l'air calme. Siolet repart et nous laisse le sergent Bautet et dix gars de la section à surveiller. 

Héret : « On a nos gardes du corps »

Moi : « Ouais, mais j'crois que même sans eux, on serait pas seuls ici... » 

 

 

 

 

 

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