DANS LES BOIS ( V )

Publié le par Vincent Leclair

V


 

A l'abri du vent, les deux trappeurs s'endormirent comme des masses dans la lueur des flammes. Jacques se posta près des mules qui respiraient bruyamment, comme si des cauchemars les embêtaient. Il s'immergea dans la nuit richement étoilée et sans lune. Les bruissements de l'eau le berçaient. Il imagina son avenir, celui d'un coureur de bois reconnu, riche et audacieux, puis celui d'un vendeur de fourrures à Montréal. Il entretint aussi le feu. Il affûta son coutelas. Le tour de garde s'allongeait. Ni Ernest ni Erwin ne se réveillaient. Alors, épuisé, Jacques prit sommeil. Peu de temps.

- Tu vas voir un peu ! Prévint le trappeur qui se levait pour sa faction.

Et Ernest l'extirpa violemment de son repos, il lui asséna un puissant coup de pied dans les côtes. Jacques ne sentit pas la douleur du coup mais il se figea, terrorisé.

- Pour ta peine, fainéant, tu vas te farcir un autre tour de garde.

Le chef de l'expédition partit se recoucher près d'Erwin à moitié éveillé. Jacques obéit sans rien dire. Le tour de garde dura jusqu'à l'aube où un franc soleil perça. Il ne perturba pas Jacques encore assoupi. Ernest lui infligea le même traitement qu'au milieu de la nuit. La bande déjeuna puis se laissa guider par le lit de la rivière. A midi, Jacques fut privé de casse-croûte sur l'ordre d'Ernest. Le soir venu, Jacques dût s'acquitter seul de l'installation du bivouac. Le jeune homme déballa les affaires de ses deux collègues, il alluma le feu, prépara une soupe au lard, fit sécher les effets trempés, sans un mot. Cette nuit-là, il dût assurer deux gardes sur trois. Il pria tous les saints. Il dormit enfin trois bonnes heures qui lui semblèrent une éternité. Le lendemain après-midi, Erwin, parti en reconnaissance devant la colonne, annonça le campement en vue. Des filets de fumée ne tardèrent pas à danser dans le ciel clair. Des voix d'enfants brisèrent le silence de glace. Au village iroquois, Erwin et Ernest pénétrèrent dans une maison-longue* pour d'interminables retrouvailles. Jacques s'assit près d'un feu crépitant, entouré de sourires juvéniles. Il s'écroula.

* Habitation typique des Iroquois.

PavIncepiX

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