FOU RIRE (2E PARTIE)

PavinCepiX

Voici le capitaine; il descend dans l’entrepont avec trois hommes qui manient chacun un long bâton dissuasif. Le maître à bord désigne de son index autoritaire certains d’entre nous. Un premier groupe d’hommes disparaît de notre obscurité. Peu après, le capitaine revient avec ses trois hommes. Je suis choisi, dans un groupe mixte. Nos pieds et nos mains sont entravés sur le pont par les trois hommes de main. Ensuite, nous descendons sur le quai. Nous marchons un peu, maladroits avec la ferraille aux pieds, sur cette place qui grouille de charrettes et de cris de marchandes. On nous aligne. Devant nous, à l’ombre d’un arbre, on a installé un minuscule secrétaire occupé par un petit homme tout maigre. Le capitaine lui chuchote quelque chose. Je me demande ce qu’il peut bien encore ajouter celui-là. Il regagne enfin son navire. Sa mission est terminée. Deux hommes habillés tout de blanc approchent, mon cœur commence à battre plus fort. L’un arbore une grosse moustache grise, le second est chauve. Ils saluent d’abord le secrétaire et viennent se planter devant nous à quelque distance. Je me trouve à l’extrémité gauche de la rangée. Ces deux-là viennent examiner leurs futurs esclaves, ils sont là pour faire leur marché. Je ne sais si je dois encore pleurer. Toutes les larmes de mon corps sont sorties au cours de cette satanée traversée au fond de ce maudit bateau. Je n’en ai plus la force. Nous n’en avons plus la force. Je regarde droit devant moi, comme un homme digne, comme un homme que l’avenir n’effraie pas. Les deux colons nous passent en revue. Ils s’arrêtent quelques minutes devant chaque africain, se consultent du regard, échangent deux ou trois mots et passent au suivant. Ils ont commencé par l’autre bout de la file. Ils paraissent riches, leur tenue en témoigne.