FOU RIRE (EPILEUGUE)

Publié le par Vince

 

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PavinCepiX

 

Je n’ai encore jamais vu pareils vêtements. Le chauve qui s’essuie sans cesse le crâne est revêtu d’une chemise ample, il porte des bas très clairs et une culotte bleue ciel. L’homme à la moustache doit être plus aisé encore. Son tricorne à liseré doré fait de lui le chef du duo. Sa culotte rouge et sa redingote qui brille comme de l’or semblent toute neuves.


Mon tour arrive. Les deux hommes viennent de se poster face à ma voisine. Je les devine, même si je ne comprends pas leur langue, oui je les devine se demandant si cette esclave vaut l’investissement ou si elle ne le mérite pas. Ils sont devant moi, à un souffle de mon visage. Nos regards se croisent puis l’un des deux acheteurs cherche à fixer mes pupilles, en quête d’une garantie, de certitudes. Depuis que nous sommes alignés, le temps s’est figé. J’ai l’impression que chaque nouvelle seconde n’est que la répétition à l’identique de la précédente. Le chauve apparaît satisfait, le moustachu est plus perplexe. Ce dernier recule à plusieurs reprises, sans doute pour mieux m’évaluer. Les deux hommes se parlent brièvement. Ils me fixent encore. Je sens leur regard fouiller dans les tréfonds de mes yeux, ils cherchent mon âme. Je me dis tout ça pour ça, toute cette mise en scène pour aller courber l’échine le reste de mes jours à leur service. Et j’éclate de rire, si fortement, si instantanément que je ne peux le réprimer. Ce rire est lâché, il est contagieux ; les deux acheteurs tentent en vain de durcir leurs traits mais l’hilarité les contamine et les emporte. Tout comme le reste de la rangée qui s’abandonne aux éclats de rire. Ma voisine est pliée en deux. Le futur esclave près d’elle pleure de rire. Seul le petit homme assis ne rigole pas, il nous toise, sortant d’un coup sa tête de ses gravures. Il ne comprend pas les deux maquignons qui se tiennent l’un l’autre tant ils rigolent. La crise de rire généralisée se nourrit d’éclats qui naissent et montent dans l’air. Toute la place qui s’est tue nous regarde. Personne parmi nous n’a ri comme cela depuis des semaines ou des mois. Une véritable libération. Ephémère. 

 

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